Il
commençait à faire plus froid dans les montagnes où Pierre était retenu. La
vieille avait trouvé de vieux vêtements pour lui, de même que des bottes de
feutre usagées. Cela puait la chèvre ou le bouc !
À présent,
le jeune Français vivait dans une sorte de routine. Une fois venue
l’arrière-saison, le travail avait changé de nature. On le conduisait désormais
chaque matin vers une bâtisse – en contrebas – dans laquelle il devait assurer
la manutention de colis dont il devinait le contenu. De retour en fin de
journée – la nuit désormais tombée – Goariné s’attardait plus volontiers dans
la bergerie, s’essayant à dialoguer comme elle le pouvait, c’est à dire à force
gestes et mimiques. C’est ainsi qu’il entreprit de décrypter le russe avec
elle. En outre, il écoutait les conversations, tantôt de ses gardiens, tantôt
des autres prisonniers. Cela lui permettait de repérer des mots qui revenaient
souvent, puis d’en rechercher la signification. Certains l’intriguaient,
notamment chut-chut ou patamouchta. Le premier, finalement, signifiait
« un petit peu », l’autre « parce que ».
— Kak
tiebia zavout ? lui avait demandé la vieille un soir en le désignant du
doigt. Mia zavout Goariné, avait-elle continué tout en se montrant de même.
— Mia
zavout Pierre, avait-il fini par répondre en prononçant ces mots d’une voix
hésitante.
—
Piotr ! avait-elle ajouté tout en hochant la tête affirmativement, puis
esquissant l’amorce d’un sourire.
— Da !
lui avait-il accordé, la voix plus ferme.
Peu à peu,
son vocabulaire allait s’enrichissant. Ses capacités de mémorisation
favorisaient largement sa progression. Ne pouvant écrire, il se faisait
mentalement des listes et se les répétait inlassablement, commençant à saisir
un peu du mécano des déclinaisons d’après le changement des terminaisons. Cela
se rapportait à la forme des phrases. Au bout de quelques semaines, il parvint
à formuler de petites phrases utiles et s’essaya sans complexe à les pratiquer.
Son expression, son accent, bien sûr, entraînaient des regards étonnés. Cela
bien sûr devait sembler très bizarre, à considérer ses compagnons
d’infortune !
Il apprit
l’alphabet grâce à son bâton. Goariné lui avait montré plusieurs fois le dessin
des lettres cyrilliques et le son que représentait chacune. En rabâchant ce
qu’il avait retenu, tout cela parvint à s’imprimer dans sa cervelle. Assez
rapidement, ces leçons devinrent un jeu pour lui. De nouveaux mots s’ajoutèrent
à sa liste au hasard des conversations. C’est ainsi qu’un jour……
Extrait
fraîchement rédigé de « La Mer Noire était si bleue ! », début
du chapitre 9.
« La
Mer Noire était si bleue ! » forme le dernier opus de la
« Trilogie russe » dont le premier volet vient d’être publié dans la
collection « Signe de Piste » aux éditions Delahaye. Il est en cours
de rédaction. Le second de ces romans qui est d’ores et déjà achevé s’intitule
« Les survivants de Sébastopol ».
La « trilogie russe » évoque cent ans d’Histoire de la Russie dont les
soubresauts les plus terribles ont été traversés par des jeunes et des
adolescents qui s’y sont trouvés happés. Chaque histoire est indépendante des
autres, cependant, un fil rouge relie les trois romans.
- La Mer
Noire était si bleue !